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QUIEVY, quatre cent mille ans d'histoire...
d'après le livre de Francis BAUDUIN et Jacques WAXIN

Quiévy, fief protestant
(2ème partie)

| Les années sombres | La reconnaissance de l'état-civil |

Les années sombres 

Ce n’est qu’en 1721 qu’apparaît sur les registres de l’état-civil l’acte suivant:

"Le 13 juillet 1721, à 12 heures à midy est né et baptisé à 4 heures après-midi Jacques François Delporte, fils de Jacques et de Marie Antoinette Lorreau, mulquinier ......... le dit père a refusé de faire profession de foy catholique, apostolique et romaine."

 D’autres sources situent l’origine du protestantisme à Quiévy au début du 18ème siècle.

 En fait, déjà à Pâques 1710, quinze cents personnes, dont certaines du Cambrésis, qui avaient gardé dans le secret le plus profond les pratiques religieuses de leurs ancêtres, prirent part au culte célébré à Tournai.

 Informé, Fénelon, archevêque de Cambrai dont on louait la tolérance, fit enquêter sur les progrès du protestantisme. Il en rendit compte au pape par lettre du 28 mai 1711 dont voici un extrait: "Une multitude innombrable se rend chaque dimanche des villages dans les villes et aux camps, pour entendre les discours des hérétiques et proclamer ouvertement son adhésion à la secte; mais il est certain qu’avant l’invasion du pays par les troupes hollandaises, ils étaient secrètement hérétiques et avaient été élevés dans l’hérésie de Calvin. Ce sont les restes de la secte de ce pays qui ont feint depuis cent vingt ans d’être catholiques et ont trompé la vigilance de l’Église par la plus honteuse hypocrisie en recevant les sacrements qu’ils haïssent..."

 Et il concluait ainsi: ... "si cette peste ne disparaît pas à bref délai, c’en est fait de la foi catholique dans tous les Pays-Bas"...(1) mais il s’adressait au pape...

(1) Douen: Bulletin historique du protestantisme. 1888, page 550

 La déclaration royale du 9 avril 1736 faisait obligation aux curés d’enregistrer tous les actes d’état-civil. Mais les protestants n’acceptaient plus la consécration de leurs mariages par les curés et pendant le 18ème siècle et jusqu’en 1785, ils allèrent faire bénir leur mariage à Tournai dans l’église protestante wallonne.

Pour en comprendre la raison, un bref rappel historique paraît nécessaire. La tradition d’accueil de la Hollande à l’égard des protestants persécutés s’était manifestée dès la fin du 16ème siècle; l’hospitalité qu’ils y trouvèrent s’inscrivit dans l’Histoire sous le nom de "Premier Refuge".

 A partir de 1685, date de la Révocation de l’Édit de Nantes, le terrain était favorable pour l’organisation d’un "Second Refuge" qui accueillit 150 000 à 200 000 Huguenots fuyant les persécutions en France.

 En 1713, de difficiles négociations aboutirent cependant à la signature du Traité d’Utrecht de novembre 1715 qui assurait la liberté de conscience dans les villes occupées par la Hollande. Tournai était l’une d’entre elles, bien que située dans le diocèse de Cambrai. Des locaux convenables étaient attribués pour permettre le culte protestant ouvert à tous ceux qui voudraient s’y rendre.

Pour aller à Tournai, les protestants du Cambrésis passaient isolément ou par petits groupes, souvent déguisés tantôt en paysans, tantôt en marchands, car le risque était grand. Ils allaient à pied, parfois en sabots dont ils prenaient deux paires, l’une pour l’aller, l’autre pour le retour. Ils passaient par Saulzoir, Valenciennes, Lecelles où des étapes étaient organisées chez des coreligionnaires; ils recevaient d’un hébergement fraternel. Il fallait prendre des chemins détournés, évitant les villes, les garnisons militaires et les couvents. Pour toute la région et même le Valois et la Brie, on évalue à cent mille le nombre des unions contractées à Tournai de 1740 à 1755 seulement.

Les registres de l’Église Wallonne de Tournai ont été partiellement conservés. Le relevé des actes enregistrés pour la période du 19 juillet 1750 au 12 mai 1783 fait apparaître, pour le Cambrésis, un total de 582 membres d’église et 157 mariages. Pour Quiévy seul, on y relève 306 membres d’église et 83 mariages à une époque où le village ne comptait guère plus de 600 à 700 habitants.

Nos ancêtres ne s’exprimaient guère dans un langage très académique et le patois qu’ils pratiquaient n’était pas toujours accessibles aux greffiers de Tournai qui traduisaient phonétiquement et c’est ainsi que l’on trouve des Lingrin (Lengrand), des Wallechin (Waxin), des Watermin (Watremez) etc... La plupart des patronymes rencontrés appartiennent à des familles encore présentes à Quiévy.

C’est vers les années 1745-1750 que le protestantisme se développa considérablement et atteignit un nombre de plus en plus important d’adeptes.

A l’origine de cette expansion, on trouve les familles de Pierre Antoine Waxin, marié à Angélique Leduc et Pierre Philippe et Philibert Bauduin, deux frères qui avaient épousé deux soeurs Anne-Marie et Judith Vilette, lesquelles avaient passé de nombreuses années dans un couvent, 17 ans disait-on. Les deux femmes devinrent d’ailleurs les propagandistes les plus acharnées des idées de la Réforme.(2)

(2) Coïncidence curieuse, il se trouve que les premiers propagandistes de la religion protestante à Quiévy sont des ancêtres des deux auteurs.

Comment ces familles ont-elles été amenées à recevoir l’enseignement du protestantisme? Il y avait à Saint-Quentin deux riches marchands, Dumoutier et Cottin, acquis aux idées nouvelles, très influents et jouissant d’une grande audience auprès des autorités. Ils se rendaient périodiquement à Valenciennes où se tenait le grand marché des "toilettes". Ils faisaient étape à Quiévy chez Pierre Philippe Bauduin qui tenait une sorte d’auberge au "Point du Jour", sur l’emplacement du temple actuel.

De son côté, Pierre Antoine Waxin, qui possédait toutes les terres situées entre l’ancienne mairie et l’Erclin, était cultivateur et marchand épicier. Il se déplaçait fréquemment, pour son commerce, dans toute la région, jusqu’à Lille et même au delà. Il fut en contact avec les courants des idées nouvelles et rapporta des livres qui furent lus et étudiés avec le plus grand soin par les nouveaux prosélytes. Ces derniers se réunissaient chez lui mais leur nombre augmentant, le clergé et les autorités commencèrent à s’en inquiéter. Par prudence, les protestants prirent l’habitude de se réunir en dehors du village dans un endroit plus discret, au lieu-dit "les Grands Trous", sans doute d’anciennes carrières qui se situaient sur le chemin allant de Quiévy au bois de Clermont.

Enfin, Pierre Philippe Bauduin construisit, avec le concours de ses coreligionnaires, une salle attenante au cabaret, définie comme salle de danse, mais utilisée comme lieu de réunion jusqu’en 1788.

La déclaration du Roi de 1736 faisait obligation aux curés d’enregistrer tous les actes d’état-civil, mais il était habituel de compléter les actes par des considérations désobligeantes et malveillantes lorsqu’il s’agissait de protestants.

Ainsi: "L’an mil sept cent soixante le dix mars a été baptisée Marie-Aubertine, née vers minuit, fille de Pierre Philippe Bauduin et d’Anne-Marie Vilette, concubinaires publics sous prétexte d’un mariage prétendu contracté pardevant un ministre de la religion prétendue réformée en la ville de Tournay, le parrain fut ..." etc...

Naturellement, les enfants étaient illégitimes avec toutes les conséquences de droit qui s’ensuivaient. 

L'archevêché de Cambrai au 17ème siècle

 

La reconnaissance de l’état-civil

C’est devant ce comportement des prêtres que les protestants de Quiévy entraînèrent ceux des paroisses d’Inchy Beaumont, Élincourt, Serain, Caudry, Walincourt et Selvigny au nombre de 102 à déposer plainte collectivement contre les curés qui "s’arrogent le pouvoir aussi absolu qu’arbitraire et despotique de leur donner des qualifications contraires aux déclarations qui leur sont faites par ceux qui leur présentent les dits enfans et par les pères parains et maraines d’iceux, tant sur leur état que sur leur filiation, à tel point que l’on affecte de dissimuler le nom d’un père connu pour être en possession de son état de mari, d’autres enfin non contents de taire le nom du père, semblent vouloir aggraver l’opprobre de l’enfant en le qualifiant d’illégitime...

Le parlement des Flandres siégeant à Douai le 21 décembre 1778 condamna les curés à la rectification des actes incriminés dans un délai de trois jours. Le texte "fait défense aux curés et vicaires des dittes paroisses et à tous autres de ne rien innover dans lesdites déclarations sous les peines portées par l’article 39 de ladite Déclaration de 1736. Permet aux supplians de faire imprimer à leurs frais cent exemplaires du présent arrêt et de les faire afficher partout où besoin sera.

Bien avant ce début de légitimation et d’apaisement, plusieurs familles s’étaient déjà réfugiées en Hollande et en Angleterre. 

C’est ainsi qu’en 1756, vingt-sept familles de Quiévy dont les noms ne nous ont pas été conservés, s’étaient réfugiées à Nivelles près de Mons en Belgique. Sur intervention de Gabriel Dumoutier, ces habitants furent fortement incités à rentrer librement avec la garantie qu’aucune sanction ne serait prise à leur encontre. 

Le 24 août 1775, Maître Ogier, notaire et tabellion royal à Londres, rédigea procuration en bonne et due forme au profit de Pierre Philippe Bastien "présent à Londres et sur son départ pour le Cambrésis "pour vendre une pinte de jardin située à Quiévy appartenant à Abraham Delporte, fils unique de feu Jean Philippe Delporte en son vivant merquigny (mulquinier) et Marie Barbe Gransart, veuve dudit Jean Philippe Delporte, sa mère, demeurant tous les deux dans la paroisse de Christchurch, au comté de Middlesex, les témoins furent Jacques Delporte et Louis Bantigny, habitant également à Londres.

En fait, il ne semble pas que des mesures fort rigoureuses aient été prises et appliquées. On cite l’arrestation de Jean Baptiste Moreau, de la rue de Cambrai, de Louis Leclercq, de la Petite Rue, d’un Sandras à Caudry et d’un Cattelain à Walincourt. Leur détention ne dura toutefois pas longtemps, toujours grâce à intervention de Gabriel Dumoutier de St Quentin. 

Le souci essentiel des autorités était d’exercer une pression constante, non coercitive, pour éviter le départ d’une population qualifiée qui aurait pu s’expatrier et porter son savoir-faire en Hollande ou en Angleterre, pays qui les sollicitaient et les accueillaient chaleureusement. Le duc de Choiseul avait saisi le Roi de cette affaire; ce dernier conseilla, en la circonstance, beaucoup de compréhension. 

Le 12 février 1778, Monsieur de Franqueville, membre du Magistrat de Cambrai, recevait mission de se transporter à Quiévy, chez le nommé Martin Bastien "pour faire quelque impression et que l’ordre d’arrestation était ajouté plutôt pour faire épouvantail que pour être strictement exécuté". Martin Bastien avait épousé Marie Anne Lagouge à Tournai le 3 juin 1775 et avait deux enfants. Il ne fut pas autrement inquiété. 

La situation continua d’évoluer dans un sens favorable et par l’Édit de Tolérance de 1787, Louis XVI accorda l’état-civil aux protestants, ce qu’ils avaient déjà à Quiévy depuis l’arrêt du Parlement des Flandres de 1778.

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