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QUIEVY, quatre cent mille ans d'histoire...
d'après le livre de Francis BAUDUIN et Jacques WAXIN

La plantation d’un arbre de la liberté en 1848

 

La période révolutionnaire de 1848 et l’instauration de la 2ème République furent marquées à Quiévy par la plantation d’un arbre de la liberté. L’événement donna lieu à des manifestations populaires importantes qui eurent lieu le 14 mai 1848.

Le seul récit complet de cet événement qui nous soit parvenu est la relation faite par le curé de Quiévy. A cette cérémonie participaient également le maire, M. Huet, les conseillers municipaux, le commandant de la garde nationale, M. Delfoly et le pasteur protestant de la commune, M. Levasseur, dit Durell.

La fermentation révolutionnaire de l’époque et l’insurrection parisienne qui s’ensuivit eurent leurs répercussions dans le village.

Par la suite de l’absence d’informations précises durant quatre jours, les esprits s’agitèrent, les imaginations s’enflammèrent déclenchant des sentiments opposés. Le curé de la paroisse nous précise que "les bons catholiques et tous les riches étaient saisis d’épouvante ; les uns craignaient pour la religion, les autres pour leur propriétés". Quant à ceux que l’on considérait comme des fauteurs de trouble et des fomentateurs de désordre, d’origine plus modeste, ils firent preuve d’une exaltation un peu débridée, se bornant à lancer des slogans du style: "À bas la curie ! Plus de pension pour les fainéants ! Allons piller les riches, voilà assez longtemps qu’ils ont vécu dans l’abondance, c’est notre tour aujourd’hui !"

Cependant, après le 28 février 1848, les passions s’apaisèrent progressivement avec l’espoir d’une amélioration des conditions de vie de chacun.

Voici le texte intégral, issu des archives paroissiales, de l’allocution prononcée le 14 mai 1848 par le curé de la paroisse, lors de la plantation de l’arbre de la liberté sur la place de Quiévy. C’est un discours d’anthologie, révélateur de la mentalité de l’époque. Pour son style et sa forme, il vaut d’être lu :

"Messieurs, il est un Être Suprême qui règle les événements et qui tient dans ses mains les destinées des nations. Tout peuple qui le respecte courbe la tête devant cette puissante et auguste majesté et veut pour son bonheur qu’elle intervienne dans ses fêtes solennelles par l’organe de la religion. La France tout entière a compris cette vérité et en a suivi l’inspiration. C’est à Dieu que naguère elle exprima sa douleur en confiant à la terre les dépouilles mortelles d’un généreux dévouement. C’est à Dieu maintenant qu’elle exprime sa joie en confiant au sol français le trophée de son triomphe qu’elle a choisi parmi les plus beaux ouvrages de la Main Créatrice, et Dieu de son côté attentif aux vœux de la France a étendu sur elle sa main protectrice. N’en doutons point, Messieurs, sa providence qui a présidé aux graves événements qui viennent de s’accomplir veillera toujours avec amour sur notre belle patrie.

Une insurrection rapide comme l’éclair, terrible comme la foudre, éclate au sein de la Capitale, la victoire couronne les efforts d’un peuple magnanime ; au milieu de l’enthousiasme de son triomphe, le peuple environne d’un respect universel la religion et ses ministres, enfants de la même patrie, dévoués par vocation au bonheur de nos frères, nous avons partagé sa joie et applaudi à son triomphe.

Autrefois un grand acte se consomma sur le Golgotha ; le Christ en mourant brisait les dures chaînes des esclaves et proclamait aux yeux de l’univers cette sublime devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Les puissants du monde, les têtes couronnées, ne voulurent point d’abord la comprendre, le sang coula pendant trois cents ans. La Liberté, l’Égalité, la Fraternité triomphèrent enfin et l’arbre de la croix, cet arbre de la vraie liberté qui a rendu le cœur et la vie au peuple en lui enseignant ses droits et ses devoirs se dressa victorieux sur les ruines de la tyrannie. Cet arbre adopté par le peuple comme symbole de la vraie liberté règne aujourd’hui dans la plus grande partie de l’univers, de l’orient à l’occident, il étend ses rameaux bienfaisants et présente à toutes les tribus de la race humaine ses fruits immortels. Malheur donc à qui portera une main sacrilège sur cet arbre consacré par la religion et la voix de son peuple !

Ce malheur, les chefs des nations l’expérimentèrent toutes les fois qu’elles s’efforcèrent d’asservir cette fille aînée de la religion: la liberté. Il y a environ un demi siècle la France saisit le sceptre d’un de ses rois et lui brisa sur la tête (notre pensée est loin de condamner le vertueux Louis XVI). Sur les ruines sanglantes de la monarchie parut la république, elle releva la devise sacrée du ‘dit’ et proclama la liberté, l’égalité, la fraternité; mots sublimes que tout bon citoyen presse avec amour sur son cœur, mais bientôt minée par les passions mauvaises qui déchirent son sein et trop faible pour accomplir la tache immense qu’elle s’était imposée, la république roule dans l’abîme des despotismes, pour lors tous les droits sont méconnus et le sang le plus pur ensanglante la France.

Épuisée d’hommes et d’argent, que deviendra notre belle France ? Dieu ne l’abandonne pas ! le cri d’un soldat vainqueur sorti des plaines de ‘Marengo’ est venu frapper ses oreilles. Son épée inconstante fumante du sang de l’ennemi, il l’a levée pour protéger sa patrie et lui rendre une vie nouvelle. D’une main de fer, il saisit le pouvoir ébranlé, la France entière le salue du nom de libérateur. Couronné empereur, cet heureux soldat porte la gloire de nos armes dans toutes les contrées de l’Europe. Ses victoires et ses triomphes l’aveuglent et il oublie qu’il commande à un peuple libre et qui veut demeurer libre ; à l’instant son diadème est brisé ; captif et dépouillé, il se voit condamné à expier son crime sur un rocher désert au milieu de l’océan.

Cette terrible leçon ne profite point aux ministres de Charles X que nous avons vu avec peine suivre le chemin de l’exil pour expier la faute de son ministère. Les fatales ordonnances de 1830 paraissent et cet infortuné monarque se voit chassé de la terre de France.

Un prince dont on vantait la haute sagesse est appelé par la voix du peuple, il recueille le pouvoir et semble adopter franchement la céleste devise ; il jure que désormais la liberté, l’égalité, la fraternité seront une vérité... Mais quand il se croit invinciblement affermi sur son trône, il oublie son origine et ses serments ; alors, il tombe, selon l’énergique expression de l’Écriture, il tombe comme le vase d’argile écrasé sous le souffle de la tempête et la liberté, cette fille du ciel, reprend ses droits.

Enfants de la même Patrie, nous adhérons du fond de nos cœurs à ce nouveau triomphe. Mais, ne l’oublions pas, sa durée est dans les mains de notre Conseil. Si les droits des citoyens de tous les ordres sont respectés, si chaque citoyen invité à s’asseoir au banquet de la vie, content de l’égalité dont il jouit devant la loi accepte la place que lui assigne la providence et abandonne le rêve d’un nivellement qui brisant l’harmonie de la société ressusciterait l’anarchie, si tous les membres de la grande famille française s’unissent franchement dans un même sentiment pour la défense de leurs droits et la pratique de leurs devoirs respectifs, l’ère nouvelle que nous imaginons sera pour la France une ère glorieuse qui enfantera non cette liberté hideuse qui naît du sang des citoyens, que proclament les passions et que propage le geignard, mais cette liberté calme et bienfaisante, force des empires, lien sacré de la société, source féconde de la félicité des peuples, liberté enfin qui seule fait de la vérité une même famille, unit les hommes, comme autant de frères et qui triomphant de la licence et des passions brûlantes répand partout les consolations et le bonheur.

Heureux alors en goûtant les doux fruits de cet arbre divin et fiers de voir notre commune patrie dignement gouvernée reprendre le premier rang parmi les grandes puissances, l’ordre et la paix régner, nous nous écrierons dans l’enthousiasme de notre joie et de notre reconnaissance: Vive la Liberté, Vive la France ! »

Suivirent alors les discours du pasteur, du commandant de la garde nationale et du maire dont les textes ne nous ont pas été rapportés.

Dans les jours qui suivirent, au cours de cérémonies religieuses de circonstances, un TE DEUM fut chanté à la fois à l’église et au temple de Quiévy.

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